Auteur, compositeur et interprète le Martiniquais E.sy Kennenga ne cesse de se réinventer. Dans un contexte d’accalmie imposée aux artistes par la période, il ose et innove. Entre concerts silencieux et conférences/concerts, il nous explique ce qui nourrit sa démarche de création.
ONAIR – E.sy Kennenga, vous avez tenu votre première « concérence » en Martinique au mois de janvier. Comment cette idée de mixte entre conférence et concert vous a été insufflée ?
E.sy KENNENGA – Grâce à mes échanges avec mes fans, l’envie d’aller plus loin m’est venue. Ils voulaient connaître plus profondément ma démarche artistique mais aussi philosophique et spirituelle. Ce n’est jamais évident de se poser et d’aller au fond des choses. Il fallait un temps dédié pour le faire.
OA – Comment ont-ils accueilli ce nouveau concept ?
EK – Ils ont répondu présent ! Je n’avais pas prévu autant d’adhésion, d’investissement et d’attention de la part du public et de mon équipe ainsi que celle de Lakou Digital, le lieu qui nous a accueilli pour cette première. Sa réussite résulte de la synergie tant du lieu qui nous fait confiance que des personnes qui nous font confiance. Cette nouvelle aventure augure de bonnes choses d’autant qu’il y a eu de nombreuses propositions pour enrichir l’expérience. Il y aura d’autres dates, déjà en Guadeloupe pour la prochaine.
OA – Vous nourrissez depuis toujours une forte interaction avec le public… Que leur offrez-vous à travers une « concérence » ?
EK – En effet, j’essaie d’être à l’écoute de mon public. C’est un dialogue qui évolue, comme la vie fait son chemin. Je tiens à faire une musique et un travail utiles aux autres, à l’autre : Être à son écoute, lui dire ce que je pense, être en communication et pas dans un dialogue de sourd. J’essaie de ramener un peu de lumière, celle qui est en nous. J’ai envie de leur montrer que même si c’est parfois dur, nous avons cette possibilité de créer de nouvelles choses, de ne pas rester dans l’auto-victimisation mais d’entrer dans l’auto-responsabilisation, l’autodétermination… Arroser les champs des possibles et rester dans ces perspectives d’espoirs… et d’union ! Nous avons de l’influence sur la situation actuelle. Elle peut aussi bouger aussi en fonction de nous. La société n’est pas seulement une somme de nous ; elle est aussi le fruit d’une synergie. On peut avoir une action sur elle. Tout repose sur la notion du « vivre ensemble ». On cultive les raisons à nos divisions mais on est toujours ensemble donc on peut choisir une autre voie.
OA – Autre exemple de synergie et même de communion : bien avant les «concérences » vous aviez déjà innové avec les Concert silencieux permettant aux spectateurs d’écouter votre musique avec un casque. Que vous apporte cette expérience ?
EK – Elle m’a permis de faire évoluer ma façon de partager. C’est un voyage dans le dialogue avec le public. Cela me fait développer plus de précisions dans les mélodies, la musique… et cela m’a conforté dans le fait d’aller encore plus loin dans ce que j’écris. Le concept entre dans les mœurs et je vois venir des personnes de tous âges, de tous horizons, de toutes origines. Ma musique touche des gens variés et je travaille de manière plus universelle.
OA – Vous avez initié votre « Carnet de voyage d’un Solda Lanmou », avec la sortie d’un EP puis d’un album réunissant les 2 premiers chapitres et une fenêtre sur le 3ème. Ce projet s’appuie aussi sur de la vidéo et de l’écriture. L’Amour étant au cœur de votre démarche créative, comment vivez-vous la période actuelle, souvent vécue comme conflictuelle ?
EK – Elle nous montre que tout moun lan bizwen lanmou. Peu importe les bords, les positionnements : on a besoin de relation d’amour. Même si on n’a pas de définition précise de ce que c’est, on a la définition de ce que ce n’est pas. Le manque d’amour est un manque de lumière, c’est l’obscurité. Nous sommes des êtres sociaux par nature et sans relations on se meurt. Or on est dans une situation où on ne peut plus attendre que quelqu’un d’autre fasse un geste d’amour. Aujourd’hui, chacun doit créer et faire revenir ces gestes. C’est le chaos qui va amener cela aussi. C’est un passage bousculant mais c’est à nous de voir si on arrose des champs des possibles d’amour ou des champs des possibles de division. Le documentaire lié au projet présentera un vivier de gestes d’Amour recueillis dans plusieurs pays. Les projecteurs sont sur tout ce qui ne va pas. Or, si dans une relation on pointe sans cesse ce qui ne va pas, ça n’ira pas ! Mais on met les projecteurs ailleurs, sur ce qui va, ça change tout. On regarde la vie par un prisme et l’Amour est le mien.
Propos recueillis par : Agnès Monlouis-Félicité