Dans un précédent numéro, nous vous expliquions que le rhum* était originellement un rhum dit de sucrerie, fait à partir de mélasse. Mais à la fin du XIXe siècle, le sucre de canne connaît un déclin, pour plusieurs raisons…
Le sucre de betterave se démocratise en Europe dès 1812. Dans le même temps, le sucre de canne connaît une surproduction au niveau mondial avec les productions des colonies Portugaises comme le Brésil. Ces 2 facteurs cumulés entrainent la chute des cours du sucre de canne. Enfin, l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises en 1848 met (heureusement) fin à cette main d’œuvre plus que bon marché. Les planteurs ne pouvant plus écouler leur sucre, ils cessent sa production et par voie de conséquence celle de la mélasse qui alimentait les distilleries.
Que faire alors de toutes ces cannes à sucre qui occupent plus de 50% des surfaces agricoles des Antilles Françaises ? On s’était aperçu que le jus de canne fermenté par la chaleur et les levures naturelles produisait une boisson alcoolisée. Dès 1694, le Père Labat imagine de distiller cette boisson pour la transformer en eau-de-vie. Fort de ces expériences, certains planteurs décident, pour survivre, de se consacrer à la distillation de ce pur jus de canne, appelé le « vesou » en créole, et produisent ce qu’ils désignent comme le « rhum z’habitant ». Le « rhum agricole » est né !
Par ailleurs, ce rhum est meilleur et plus aromatique que le rhum de mélasse. Dans les Antilles Françaises, la canne à sucre ne sera alors plantée et récoltée quasiment plus que pour la production du rhum agricole. Ce dernier connait alors une expansion exceptionnelle. En 1939, la Martinique comptait 124 distilleries et la Guadeloupe 55. Aujourd’hui, moins d’une dizaine ont survécu sur chaque île, mais le rhum n’a pas dit son dernier mot car de nouvelles distilleries ont vu le jour ces dernières années.
Face à l’essor des rhums de mélasse dans le monde, le rhum agricole pur jus de canne ne représente plus que 5% de la production mondiale de rhum. Il est principalement produit en Guadeloupe et en Martinique, mais aussi en Guyane française, à la Réunion, à Haïti, à l’île Maurice et en Polynésie Française. C’est ainsi que le rhum agricole est entré dans le patrimoine gustatif français avec son histoire, ses origines et son identité avant tout créoles.
*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé ; à consommer avec modération.
Auteur : Victoria Payen-Pothier
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