Un an d’écoute des eaux caribéennes aura permis d’en apprendre davantage sur les baleines de passage dans la région. Jérome Couvat, biologiste marin, revient pour nous sur une avancée scientifique tant inopinée qu’énigmatique.
“On peut dire que cette histoire pose beaucoup plus de questions qu’elle n’en résout…” Piloté par le Sanctuaire Agoa de 2018 à 2021, le projet CARI’MAM (Caribbean Marine Mammals Preservation Network) avait pour but premier de renforcer la collaboration entre les différents acteurs de la conservation des mammifères marins dans la Caraïbe. “Certains territoires en savent parfois très peu sur la nature des animaux qui traversent leurs eaux. L’un des axes du projet était donc d’obtenir un premier aperçu, à l’échelle régionale, des différentes espèces de dauphins et de baleines qui y évoluent”, contextualise Jérôme Couvat, responsable scientifique du Sanctuaire Agoa, une aire marine protégée et gérée par l’Office français de la biodiversité.
C’est dans cette optique que 17 micros sous-marins sont déployés dans 13 territoires de la Caraïbe. Des hydrophones, capables d’enregistrer sur des cycles de quarante jours et qui capturèrent, un an durant, tout ce qui passait à leur portée : sons de l’environnement naturel, bruits liés à l’activité humaine et, bien sûr, chants des baleines. “Les données récoltées furent envoyées à l’Université de Toulon, référence en matière d’étude acoustique (et particulièrement des mammifères marins). Cette université a développé une intelligence artificielle capable de reconnaître le chant des baleines et ainsi sonder ces enregistrements ‘à la vitesse grand V’.”
À la fin de l’été 2022, les résultats d’un an d’écoute tombent, non sans surprises. L’Université de Toulon l’affirme : en plus d’être composés de douze couplets, enregistrés par la quasi-totalité des micros, les chants des baleines dans la Caraïbe varient d’un territoire à l’autre. “On ne s’attendait pas à ça. On a pu définir une grande variabilité dans l’utilisation et la fréquence de ces différents couplets. Les baleines mâles de passage dans la Caraïbe ne chantent donc pas tous de la même manière – avec des différences parfois importantes, alors même que les territoires sont parfois extrêmement proches… Ce qui est étonnant, car les baleines bougent beaucoup une fois dans les eaux antillaises.” Ainsi, à titre d’exemple, les chants enregistrés à Saint-Barthélemy diffèrent largement de ceux d’Anguilla, île pourtant voisine.
Une avancée significative dans l’étude du comportement des baleines de la région, qui soulève pourtant de nombreuses questions. L’étude d’une deuxième année d’écoute permettra toutefois d’élucider les mystères qui gravitent désormais autour de ces curieuses mélodies du bassin caribéen.