Emmanuel de Reynal, acteur engagé de la vie économique et associative de la Martinique, a publié « Ubuntu » en 2020 puis, cette année, « Recta Linea », un roman sur les multiples héritages dont est riche son île natale.
ONAIR – « Ubuntu », à travers le portrait de personnages historiques montre à quel point les histoires de chacun sont riches et multiples.
Emmanuel de Reynal – Oui. « Ubuntu », est un terme bantou qui signifie « Je suis ce que je suis grâce à ce que tu es ». Il s’agit donc d’une philosophie de la fraternité et de la reconnaissance de l’autre. Le livre exprime cette idée que nous avons face à nous, non des représentants de groupes mais des personnes, complexes, singulières. Je voulais démontrer qu’au sein d’une même généalogie, les mélanges sont incessants : personne n’est le fruit d’une seule lignée. Depuis 80 000 ans et la naissance d’homo sapiens, nous formons une chaîne large, complexe !
OA – Dans Recta Linea, vous recourez à une forme romanesque : quand il revient dans son ancienne maison, le narrateur, Gabriel, reçoit des lettres d’une mystérieuse correspondante.
EDR – Gabriel c’est un peu moi. Malgré nos différences, il y a forcément une part d’autobiographie masquée. Avec ce livre, je voulais élargir le propos d’ « Ubuntu » en intégrant le parcours de la Martinique dans le concert du monde, depuis le Big Bang. Surtout, c’est un livre de transmission : je voudrais que les jeunes apprennent davantage sur notre géographie, notre histoire.
OA – Vous dîtes que la Martinique, malgré les difficultés, peut représenter un modèle.
EDR – Absolument. La Martinique, c’est un tout petit territoire mais qui a concentré toutes les influences : européenne, asiatique, levantine, indienne, chinoise. Or, ce peuple, issu d’une histoire douloureuse, réussit, par la créolisation, à surmonter les différences entre ses communautés. Bien sûr, tout n’est pas parfait en Martinique. Le processus est loin d’être achevé. Il faut travailler à réinstaurer un esprit de dialogue beaucoup plus sincère. Par exemple, après les grands conflits sociaux de 1998, la situation était bloquée. La communication était rompue entre les représentants des chefs d’entreprise et les syndicats. Pourtant, une initiative a été mise en œuvre : des groupes de travail les ont réunis pendant plus d’un an. Ils se sont accordés sur des instruments partagés. La conflictualité en entreprise en Martinique a été divisée par 1000 depuis cette époque.
OA – Pourquoi être passé par la rédaction de livres ?
EDR – Les livres ont une qualité précieuse, surtout dans notre époque marquée par les réseaux sociaux. Ils instaurent un décalage, ils prennent le temps. La littérature, les récits, sont fondamentaux pour tenir une société. Il nous faut d’ailleurs absolument nous accorder sur un récit commun, et, à ma modeste échelle, c’est ce que j’essaie de faire. Je publierai bientôt un nouveau livre, un dialogue. Mon interlocuteur et moi sommes deux individus que tout oppose. Pourtant nous prenons le temps de nous écouter, d’échanger, de cheminer ensemble. Les livres ont une vertu : celle de permettre de dépasser clichés et étiquettes.
Auteur : Baptiste Rossi