Conseillère régionale de Guadeloupe, Sylvie Gustave-Dit-Duflo est aussi membre du Conseil d’administration de l’Office Français de la Biodiversité. A l’occasion de la Semaine européenne du Développement durable qui débute le 18 septembre 2020, elle partage son regard sur l’état de notre Planète et esquisse des perspectives positives de changement.
ONAIR : Actualité oblige, quels enseignements peut-on tirer selon vous de la pandémie actuelle au regard de l’état la biodiversité ?
Sylvie Gustave-Dit-Duflo : On peut en effet se poser la question du lien avec la biodiversité par notre proximité avec les animaux sauvages, le réservoir naturel du Coronavirus étant la chauve-souris. L’homme se trouve aujourd’hui mêlé à des animaux qu’il mange ou garde en captivité et qui pour certains ne devraient pas l’être. Le Ministère de la Transition écologique et solidaire avait confié une mission sur ce sujet à la Fondation pour la Recherche sur la biodiversité. Les scientifiques ont montré qu’il existe des corrélations entre changement environnementaux, perte de la biodiversité et augmentation de la prévalence des maladies infectieuses type zoonoses (maladies transmises de l’animal à l’homme). Ainsi, le risque zoonotique peut être accru par l’érosion de la biodiversité : déforestation, construction de mégastructures comme les barrages ou les routes qui font des trouées dans des espaces naturels sensibles…. Tout cela met en contact des animaux ayant des réservoirs naturels sensibles avec l’homme. Partout où il y a une très forte atteinte de la biodiversité, les zoonoses vont en augmentation. La question est de savoir comment s’intégrer à cette biodiversité en ayant un minimum d’impacts plutôt que l’inverse. Il faut changer de paradigme.
OA : Concernant le changement, que peut nous apporter cette expérience collective que nous sommes en train de vivre?
SGDD : Le Coronavirus peut apporter de la résilience à la population. Le monde allait très vite jusqu‘au 11 mars, jour où il s’est arrêté. Ainsi, au-delà du confinement, le coronavirus pose une question : est-ce qu’on privilégie la reprise du monde tel qu’on le connait (avec ses excès, sa logique de profits…) ou crée-t-on un Monde d’après ?
OA : Ce Monde d’après, comment le voyez-vous ou plutôt comment le rêvez-vous ?
SGDD : Il devrait être tourné un peu plus vers l’écologie, la préservation des espèces végétales et animales. Le modèle économique que nous avons est très intrusif (plus de terre pour construire plus d’infrastructures, de centres commerciaux, de routes etc.).. Posons donc cette question aussi aux économistes et pas seulement aux scientifiques : Allons-nous être moins en conflit avec la nature et aller vers elle ou continuer à être boulimique des espaces naturels et sensibles ?
OA : Le 31 janvier 2020, vous avez été nommée, par arrêté ministériel, membre du conseil d’administration de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) puis élue vice-Présidente de l’organisation. Quels en sont les champs d’action?
SGDD : L’OFB a été créé juste avant le confinement. Elle résulte de l’Union de l’ancienne Agence Française de la Biodiversité.et de l’Office national de la faune sauvage et de la chasse. Il a pour rôle de définir la politique stratégique nationale sur la biodiversité, les grands enjeux, les orientations et perspectives. En somme : comment préserver la biodiversité tout en y vivant ? Prévention, valorisation, sensibilisation, police etc. L’OFB interagit localement par exemple avec la DEAL, la police municipale et d’autres acteurs. J’y ai été nommée au titre de l’Association des Régions de France des régions de France (ARF) afin de porter la voix des régions ultramarines.
OA : Quels sont les bénéfices d’une telle structure pour l’Outre-Mer ?
SGDD : Pour nous ultramarin, l’OFB est un partenaire important pour tout ce qui est problématique de l’eau. C’est un financeur partenaire de l’Etat. Dans l’organigramme de l’OFB chaque région est représentée et les régions ultra-marines ont une représentation forte et spécifique (nous représentons 80% de la biodiversité française). Au sein de l’OFB une direction est d’ailleurs dédiée aux régions ultramarines. Dans la délégation Outre-mer, il y a une délégation Antilles (Guadeloupe, Martinique, St Martin), une délégation Guyane, une pour l’Océan indien (Réunion, Mayotte) et une délégation Pacifique.
OA : Comment ces enjeux se déclinent-ils en Guadeloupe, plus particulièrement ?
SGDD : Depuis deux ans nous travaillons sur une préfiguration de l’Agence régionale de la biodiversité des îles de Guadeloupe. Elle devrait naître au 1er trimestre 2021. Bras armé de l’OFB dans les régions, elle permettra au territoire d’être force de proposition et de faire remonter les doléances. Elle permettra aussi l’acquisition de connaissances, la mise en réseau des acteurs, l’aide aux porteurs de projet, l’accès partagé aux ressources. 7 agences ont été créées dans l’hexagone et aucune dans les territoires ultramarins. Ces structures régionales se développeront en s’appuyant sur les acteurs de terrain. En Guadeloupe l’Agence deviendra le point central, la référence de la biodiversité sur tout le territoire (en lien avec l’ONF, le conservatoire du littoral, la DEAL, le département, le Parc national de la Guadeloupe). Elle ne sera pas la couche supplémentaire d’un mille-feuille : elle aura vocation à fédérer l’ensemble des partenaires pour définir la politique régionale de la biodiversité. Nous avons beaucoup de défis à relever.
OA : Vous êtes 8ème vice-présidente de la Région Guadeloupe, en charge de la Recherche et l’Innovation, Présidente de la Commission Environnement et Cadre de vie du Conseil régional. Comment la collectivité appréhende-t-elle ces enjeux ?
SGDD : De 2014 à 2020, trois appels à projet de Recherche de 25 millions d’euros ont été lancés par la Région. EIles concernent le risque tsunami, la santé et l’agroécologie. Un 3ème appel à projet, international cette fois, a été lancé sur les sargasses. Etant scientifique de formation (Docteur et maître de conférence en neurosciences), je suis ces sujets tout particulièrement.
OA : Puisque vous la citez… l’agroécologie fait-elle aussi partie de ce monde de demain idéal ?
SGDD : Bien sûr, et d’ores et déjà du Monde d’aujourd’hui. La Région soutient fortement les recherches menées en ce sens. Beaucoup d’agriculteurs évoluent vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Notre histoire avec la Chlordécone nous rend beaucoup plus sensible à ces enjeux. Les antillais devraient d’ailleurs pouvoir témoigner pour faire entendre leur voix, celle de populations résilientes disant aux hexagonaux ou aux autres ultramarins « n’allez pas dans cette direction. les pesticides ne sont pas la voie d’avenir. Il faut aller vers des solutions naturelles. »
OA : L’agriculture, un autre domaine où la préservation de la biodiversité compte?
SGDD : En effet, Coronavirus et Chlordécone : même combat. Nous devons avoir une meilleure connaissance de notre biodiversité pour la préserver et nous préserver : celle exceptionnelle de la forêt hydrophile, celle des forets de la Soufrière mais aussi celle des jardins créoles. Ainsi, forts de nos connaissances et de nos expériences, nous continuerons, résilients, à aller de l’avant et, je l’espère, à construire un monde meilleur.
Propos recueillis par Agnès Monlouis-Félicité