André Malraux disait des Haïtiens qu’ils étaient un peuple de poètes. Georges Castera était l’un des visages et des voix de l’île, lyrique et révolté. Au moment de sa disparition, retour sur son oeuvre et son destin.
Il est parti comme il a vécu, et là où il a vécu : à Pétion-Ville. En poète d’Haïti. Avec la disparition de Georges Castera, Haïti perd l’une de ses plus belles et plus grandes voix. Mais son oeuvre est pour aujourd’hui comme pour demain : plutôt que le pleurer, il faut le lire, car, comme le disait Victor Hugo, les poètes sont éternels, pourvu qu’on les déchiffre et qu’on les entende.
Castera c’était un doux visage d’intellectuel, un air de sérénité bonhomme qui dissimulait sa part de tourment. Elle venait sans doute d’un destin d’exil et d’une vie éloignée d’abord de là où battait son cœur, Haïti. A cause de la dictature, le voilà, dès les années 1970, à New-York. Mais l’exil est moins une peine qu’une chance. Le jeune homme, rêvant de littérature, se retrouve au centre de l’ébullition intellectuelle de la communauté haïtienne en exil. Il s’initie au jazz, au théâtre. Il fréquente assidument une librairie : le Haïtian Corner. Il en tirera une façon d’écrire à double visage, en français et en créole. Un peu d’espagnol, aussi, mais Castera restera à jamais ce prince des mots d’Haïti, qui entre-mêle les vocabulaires, de jeux de mots en jeux de mots, comme celui de « catastrophe » dont il faisait un verbe, pour affirmer sa mélancolie. Ses premiers textes, il les écrits en 1974, et aussitôt la mélodie du succès s’enclenche.
De son enfance dans l’île, Castera a retenu une leçon. Il est un petit garçon de Pétion-Ville, les beaux quartiers de la capitale. Sa mère y tient toujours un hôtel. Sa famille appartient à la bourgeoisie. Son père est docteur, mais lui veut vivre parmi les plus humbles. Alors, de ce fossé entre riches et pauvres, Castera tirera un feu, une indignation. Comme l’écrit Lyonel Trouillot, grand écrivain Haïtien : « Quand on se nomme Georges Castera fils, on se doit de devenir médecin comme son père, surtout après deux ans de France, onze ans d’Espagne. On ne transite pas quinze ans aux Etats-Unis à mener une vie d’ouvrier avant de revenir au pays les poches pleines de poèmes ». Mais sa poésie n’est pas sociale. Elle est une brûlure plus large, qui englobe tous les malheurs et toutes les peines. L’Académicien français, le grand écrivain Haïtien Dany Laferrière le compare au romancier James Baldwin. Ils partagent l’assèchement ou la soif de l’exil. Les supplices du cœur, et l’indignation face au monde. Le goût de la révolution et la haine des misères. Mais Castera reste un homme, et un poète, guidé par l’aspiration vers la beauté.
Prenez ses vers magnifiques, ou ses deux plus beaux recueils : « Rature d’un miroir » ou « Les cinq lettres » : « elle est venue la mer / laver son sel dans nos larmes / elle est venue recharger en sel / sa fureur cendreuse / du même pas de mer / du même pas de terre / profonde criblée d’étoiles mortes ». Castera s’inscrit dans la plus belle des traditions de la poésie française. Nourrie par la révolte, mais transcendée par la splendeur du monde. Quelque chose de la fuite de Rimbaud, et de sa course vers les étoiles.
Après New-York, Castera reviendra en Haïti, à la chute de la dictature. Il fut alors un ami attentif des jeunes écrivains, un dramaturge très célébré, un
écrivain admiré. L’une de ses plus belles phrases, qui sert de titre à son anthologie,
« L’encre est ma demeure », dit tout de lui. L’exil et le déracinement, puisque sa seule
demeure reste ses pages, ses mots, deux langues qu’il habite merveilleusement. Et puis,
sa vocation de poète, qu’il n’a, jusqu’au bout, même octogénaire, jamais abandonné.
Comme l’écrit encore Trouillot, dans la préface à cette anthologie : « Sa poésie, pourtant, ne tolère pas la nostalgie. Ce n’est pas au passé mais à la rébellion qu’elle est
restée fidèle. L’entrée en poésie (en créole de surcroît, dans cette langue qui, dans les
années 1950, n’est pas encore reconnue telle par les doctes comme par le grand monde), sa prise au sérieux comme un choix de vie et le lien primordial de son rapport au monde, constituera d’ailleurs la plus grande rébellion. »
Pour comprendre Haïti, pour entendre les bruits de Port-au- Prince, sa folie et sa beauté, il faut lire Castera. Dans sa langue, rythmée par saccades, tout se met en mouvement, et la fièvre haïtienne surgit. Son île le célèbre comme un fils prodigue. Il a planté, dans les esprits de la jeune génération poétique haïtienne, des fleurs qui donneront longtemps leurs fruits.
BIBLIOGRAPHIE / BIBLIOGRAPHY
LES CINQ LETTRES (RÉÉDITION, MÉMOIRE D’ENCRIER, 2012)
HAÏTI PARMI LES VIVANTS, COLLECTIF (ACTES SUD, 2010)
LE COEUR SUR LA MAIN, ILLUSTRATIONS MANCE LANCTÔT (MÉMOIRE D’ENCRIER, 2009) LE TROU DU SOUFFLEUR (CARACTÈRES, PARIS, 2006)
L’ENCRE EST MA DEMEURE (ACTES SUD, PARIS, 2006)
BRÛLER (PORT-AU-PRINCE : ÉDITIONS MÉMOIRE, 1999)
VOIX DE TÊTE (PORT-AU-PRINCE : ÉDITIONS MÉMOIRE, 1996)
QUASI PARLANDO (PORT-AU-PRINCE : IMPRIMERIE LE NATAL, 1993)
LES CINQ LETTRES (PORT-AU-PRINCE : IMPRIMERIE LE NATAL, 1992)
RATURES D’UN MIROIR (PORT-AU-PRINCE : IMPRIMERIE LE NATAL, 1992)
LE RETOUR À L’ARBRE, AVEC DES DESSINS DE BERNAH WAH (NEW YORK : CALFOU NOUVELLE ORIENTATION, 1974)